Télévision à la une - Ce que devient le «nous»
Tel un éternel adolescent, le Québec se cherche. Se cherche une identité propre sur un continent où règne une hégémonie culturelle qui prend toujours un peu plus de place. Cherche une façon de redéfinir ce qu’est un Québécois à l’heure où les «Canadiens-français de souche» se font de moins en moins nombreux et où les «originaires» d’ailleurs prennent le relais.
Au moment où les intellectuels et certains politiciens se creusaient la tête à définir un «nous», Pierre Mignault et Hélène Magny sont allés à la rencontre d’adolescents, enfants d’immigrants nés au Québec et fréquentant l’école Joseph-François Perrault, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, afin de comprendre comment se définissent ces jeunes à cheval sur deux cultures, deux systèmes de valeurs, deux univers.
Dans Tête de tuque, un documentaire présenté ce vendredi à Radio-Canada, ces deux anciens journalistes de la société d’État ont suivi pendant une année scolaire trois jeunes issus de différentes cultures qui terminent leurs études secondaires et se cherchent une identité qui leur est propre, tiraillés qu’ils sont entre les principes de leurs parents et ceux de la société dans laquelle ils vivent. Chison, un jeune homme timide né de parents chinois et vietnamien, Darlyne, une adolescente d’origine haïtienne mais se définissant comme «plus québécoise», et Sabrine, une jeune femme nettement plus «tiraillée» dont les parents viennent de Tunisie, se livrent avec un naturel rare devant la caméra.
Comme le titre du documentaire l’évoque, ces jeunes se sentent parfois comme les «têtes de turc» des «de souche», qui les voient parfois comme des étrangers — un peu envahissants –, alors qu’ils sont nés ici, et parfois comme «trop québécois» –, d’où sans doute la «tuque» du titre — pour leurs parents, qui cherchent à perpétuer l’héritage culturel et social de leur patrie d’origine. Lorsqu’ils sont seuls devant la caméra ou à l’école avec leurs amis, ils parlent sans gêne de cette ambiguïté identitaire qui les habite, mais aussi de leur amour pour le pays où ils sont nés, tandis que lorsqu’ils sont filmés avec leur famille, on les sent moins à l’aise, moins prêts à remettre en question les valeurs et le mode de vie transmis par leurs parents.
Le film de Migneault et Magny, visiblement produit dans l’optique d’une diffusion télévisée, aurait gagné à être plus long, car, même si les journalistes ont réussi à mettre en confiance leurs protagonistes et à les faire témoigner avec franchise de leur situation, on a la nette impression qu’ils auraient pu aller un peu plus loin dans leur réflexion. Il aurait aussi été souhaitable d’entendre un peu plus les parents et l’entourage des jeunes, comme ce travailleur communautaire à l’école qui témoigne lui aussi de son expérience de fils d’immigrant né ici et jamais considéré «québécois» par ses pairs. On aurait également aimé voir un peu plus le milieu scolaire dans lequel évoluent ces jeunes. Comme dans cette séquence où le professeur de français de la classe plutôt multiethnique du jeune Chison anime une discussion sur la définition de l’expression «de souche» et sur l’avenir du fait français au Québec, éclairante et parfois même agréa-blement surprenante pour les
pessimistes de l’avenir de la langue. Il reste que ce Tête de tuque, nimbé d’une variation musicale du succès Dégénération du groupe Mes Aïeux, permet de découvrir ce qui se passe dans la tête de ces futurs citoyens qui forment lentement mais sûrement une part importante de la population québécoise et de changer le regard qu’on porte sur eux afin qu’un jour ils s’identifient à part entière au fameux «nous».
Amélie Gaudreau.
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Le Devoir samedi 13 et dimanche 14 juin 2009.
Tête de tuque - Dans le cadre de Zone Doc, Radio-Canada, vendredi à 21h.