Le socialisme du XXIe siècle, un réformisme radical


LE MONDE | 23.05.09 | 13h53.  Point de vue.

 


Selon une figure imposée du débat politique, la priorité serait désormais pour le PS d’”inventer le socialisme du XXIe siècle”. Devenue un leitmotiv, cette formule sonne étrangement. En effet, on n’invente que ce qui n’existe pas. Or le socialisme existe. Il a précédé le marxisme et lui survit. Il se bat pour encadrer et maîtriser le capitalisme depuis la naissance de ce dernier au XIXe siècle. Et quels que soient ses traits nouveaux, le “socialisme du XXIe siècle” restera, dans ses finalités comme dans sa philosophie, très proche de ses aïeux des deux siècles précédents.

 

Dès lors, l’usage récurrent de cette formule semble témoigner de l’envie “d’en finir” avec une doctrine politique jugée caduque, une envie qui agite nombre d’observateurs et même certains socialistes. Formule lénifiante qui nous donne en réalité plutôt à entendre : “enterrer le socialisme du XXe siècle”… Et qui nous donne à penser l’essentiel : une doctrine politique ne s’invente pas, elle se déduit.

 

Précisément, elle se déduit de trois éléments. Des valeurs que l’on porte et au nom desquelles on affirme agir, et de la fidélité qu’on leur témoigne, d’où découlent les objectifs assignés à l’action politique. De la réalité - scientifique, technologique, culturelle, politique, sociale, économique - que l’on souhaite transformer et du rapport que l’on entretient avec cette réalité. De la méthode politique retenue, enfin.

 

Les valeurs du socialisme sont pérennes. Né du sentiment de l’égalité naturelle entre les hommes et du refus de l’inégalité de l’ordre social, fondé sur la conviction que l’homme est perfectible et que la société peut et doit être transformée, le socialisme demeure une volonté de justice et une pensée du progrès. La relation des socialistes au réel traduit, elle, une sorte de fatigue collective.

 

Si, avec Hannah Arendt, on retient que “la pensée politique consiste essentiellement en la faculté de juger”, alors, la pensée socialiste souffre de langueur. Europe, fiscalité, immigration, éducation… sont quelques-unes des questions, certes très complexes, que nous peinons à trancher. Complexité qui justifie une longue réflexion et une analyse soigneuse, mais qui ne saurait être l’alibi de la frilosité ou de la tiédeur. Dans cette difficulté à juger de la réalité, la “crise de leadership” ouverte en 2002 joue sans aucun doute un rôle central. Mais c’est dans son rapport avec le réel qu’il faut chercher les causes du malaise persistant de la pensée socialiste.


Il est donc illusoire de s’en remettre à la seule recherche de ces fameuses “idées nouvelles” pour nous sortir de l’ornière. Car les idées, en réalité, ne manquent pas au PS. Ce qui manque, c’est la capacité à choisir entre elles et à les présenter de façon cohérente et articulée en un projet clair et ferme, un projet qui tranche les grands débats contemporains. Ce qu’il faut, c’est donner un sens à ce projet, c’est-à-dire à la fois une direction et une signification.

 

Une deuxième expression court sous toutes les plumes, agite toutes les lèvres : le PS serait gouverné par un “surmoi marxiste”. Et puisque c’est le vocabulaire de la psychanalyse qu’ont convoqué ses auteurs, laissons la théorie psychanalytique éclairer l’analyse politique. Si “surmoi” il y a, alors c’est que pulsion à dominer il y a. En l’occurrence, une pulsion gestionnaire

 

Alors même que la droite, depuis trente-cinq ans, a géré le pays de façon souvent médiocre et parfois calamiteuse, nous continuons trop souvent à intérioriser une forme d’infériorité politique et à en rajouter dans la course au titre de meilleur élève de la classe de gestion. Pourtant, nos concitoyens savent qui a vaincu l’inflation des années 1980, qui a modernisé notre appareil industriel, qui a rétabli la paix civile en Nouvelle-Calédonie, qui a su restaurer l’équilibre des finances publiques tout en créant 2 millions d’emplois à la fin des années 1990 : les socialistes ! Ils nous reconnaissent depuis longtemps la capacité à gérer les affaires de la France, et ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher les raisons de leur éloignement. Mais plutôt dans le conformisme intellectuel, le manque d’imagination politique, la coupure avec les couches populaires, la pusillanimité qui nous caractérisent parfois.

 

Ainsi, les socialistes n’ont-ils pas assez dénoncé les perversions du capitalisme quand il était possible et nécessaire de le faire, c’est-à-dire avant “la crise”. Maintenant qu’elle est là et que, par cynisme, les zélateurs de la mondialisation heureuse, contempteurs du modèle français, “déclinologues” patentés et donneurs de leçons libéraux entonnent, toute honte bue, l’air du “plus keynésien que moi, tu meurs !”, mêler nos voix aux leurs pour dénoncer les dérives du capitalisme nous rend inaudibles. Nous avons beau dire que ce sont nos idées qui étaient justes et que la crise les a validées, nous peinons à convaincre.

 

Les socialistes doivent enfin reprendre la question de la méthode politique, une méthode souvent définie comme - troisième expression consacrée - un “réformisme de gauche”. Définir ainsi le socialisme, c’est énoncer une tautologie. La réforme est en effet le mode d’action des socialistes depuis qu’ils ont accepté l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire depuis 1936 et le Front populaire de Léon Blum.

 

Une fois ce constat posé, on a donc beaucoup dit, mais pas tout. Car ce qui doit caractériser le socialisme, c’est l’intensité de son réformisme. Il y a des réformes fortes, simples, intelligibles par tous, qui transforment une société : ce sont celles-là qui sont attendues des socialistes.

 

Ce sont celles-là qu’ils ont su faire aboutir, en abolissant la peine de mort, en votant la décentralisation, en bâtissant l’union monétaire de l’Europe, en instaurant les 35 heures, en créant le pacs et en promouvant la parité dans l’ordre politique. Ce sont celles-là qu’ils n’ont parfois plus su proposer, lorsqu’ils ont quitté des yeux leur étoile polaire : le volontarisme politique. Ne pas faire preuve de volontarisme pour un socialiste, c’est pécher deux fois : la première contre son idéal, qui impose le combat déterminé contre l’ordre des choses ; la seconde, contre l’identité de la France, vieille nation pétrie de politique et qui en attend encore quelque chose.

 

Or il existe parfois chez les socialistes une forme de survalorisation des contraintes qui confine à la fascination, voire frôle le masochisme. Le PS doit incarner un réformisme volontariste. Volontariste parce que réaliste. C’est le réalisme qui, plus que jamais, impose l’ambition politique !

 

A cet égard, la véritable “ouverture” à gauche opérée par Nicolas Sarkozy ne consiste pas dans le détournement de quelques personnalités, mais dans le rapt du volontarisme politique par lui effectué en 2007. Suspecter de façon systématique Nicolas Sarkozy d’arrière-pensées est une hygiène nécessaire. Dénoncer ses rodomontades et ses incohérences est une oeuvre de salut public. S’opposer avec force à sa politique injuste est une obligation. Mais cela ne suffira pas à faire une politique.

 

Au moment où le séisme économique et financier ébranle les dogmes libéraux les mieux établis, et que s’ouvre ainsi un espace politique, il est urgent de travailler à un socialisme de reconquête. Et, pour commencer, de revoir ensemble le choix des mots qui structurent le combat politique. Il en va de l’identité socialiste comme de notre capacité à gagner les élections et à réussir, une fois revenus aux responsabilités.

 

Aquilino Morelle, professeur associé à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, maître de conférences à Sciences Po Paris, ex-conseiller de Lionel Jospin à Matignon.

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