Archive pour la catégorie 'Justice et démocratie'

L’AFRIQUE, CONTINENT LE PLUS RICHE, RESPONSABLE DE SON AVENIR

Samedi 11 juillet 2009

Le président américain, Barack Obama, est arrivé vendredi soir, 10 juillet, à Accra avec un cadeau - 20 milliards de dollars pour l’aide alimentaire à l’Afrique - et un message : le colonialisme ne peut pas constituer ”une excuse” pour les problèmes du continent. “Je crois beaucoup à l’idée que les Africains sont responsables pour l’Afrique”, a-t-il expliqué dans un entretien au site allafrica.com, avant son départ des Etats-Unis.

 L’enveloppe de 20 milliards de dollars sur trois ans (14,3 milliards d’euros) a été accordée par le G8 lors de la dernière journée du sommet de L’Aquila. M. Obama a plaidé personnellement auprès de ses collègues pour une augmentation de la somme initialement prévue (15 milliards), arguant d’une “responsabilité morale” des pays riches. “Les actions irresponsables de quelques-unes ont engendré une récession qui a balayé le globe, a-t-il dit. Les prix de la nourriture ont augmenté et 100 millions de personnes vont tomber dans une extrême pauvreté.” Le président a évoqué l’exemple de sa famille paternelle, qui, sans connaître la faim, vit au Kenya dans une région frappée par la malnutrition. La pauvreté est “quelque chose que je comprends dans des termes très personnels”, a-t-il ajouté.Le G8 était réuni avec un groupe de pays africains. Devant les dirigeants de l’Algérie, l’Angola, l’Egypte, l’Ethiopie, la Libye, le Nigeria, le Sénégal, l’Afrique du Sud et l’Union africaine (que représentait Mouammar Kadhafi), M. Obama a expliqué qu’il y a cinquante ans, quand son père a quitté Nairobi pour étudier aux Etats-Unis, le Kenya avait un PNB par habitant supérieur à celui de la Corée du Sud. “On a parlé d’héritage du colonialisme et d’autres politiques mises en place par les pays riches. Sans vouloir minimiser ce facteur, mon propos est de dire que la Corée du Sud, en travaillant avec le secteur privé et la société civile, a réussi à mettre en place des institutions qui ont garanti la transparence et la responsabilité.” Alors que dans beaucoup de pays d’Afrique, “si vous voulez avoir un job ou créer une entreprise, vous devez payer des pots-de-vin”.  AFRIQUE AUTOSUFFISANTE  Le G8 a entériné le nouveau mécanisme d’aide proposé par M. Obama : “L’aide doit créer les conditions qui permettent de se passer d’elle.” Au-delà de la distribution d’aide alimentaire, le projet vise à aider les fermiers à construire des infrastructures et à commercialiser leurs produits.“Il n’y a rien qui empêche l’Afrique de devenir autosuffisante sur le plan alimentaire”, a dit M. Obama.Pour son premier discours en Afrique subsaharienne en tant que président, M. Obama avait prévu de développer le thème de la gouvernance. “Une partie de ce qui a empêché l’Afrique d’avancer est que, pendant des années, on a dit que c’était la conséquence du néocolonialisme, ou de l’oppression occidentale, ou du racisme… Je ne crois pas beaucoup aux excuses, a-t-il dit dans son entretien à Allafrica.com. Les cartes coloniales qui ont été tracées ont favorisé les conflits, mais nous sommes en 2009. L’Occident et les Etats-Unis ne sont pas responsables de la situation de l’économie du Zimbabwe depuis quinze ou vingt ans.”Le discours d’Accra devait être diffusé largement sur le continent grâce aux projections publiques organisées par les ambassades américaines. Au Kenya, le réseau Safaricom (17 millions d’abonnés jusque dans les régions reculées) devait le transmettre, selon les termes d’un accord avec le département d’Etat.

 

Corine Lesnes    LE MONDE | 11.07.09 | 14h26  •  Mis à jour Samedi 11.07.09 | 19h46

 

URGENCE D’ACTION SOLIDAIRE INTERNATIONALE Contre le réchauffement climatique

Samedi 11 juillet 2009

Réunies à L’Aquila, en Italie, les plus grandes puissances mondiales ont adopté, mercredi 8 juillet, des résolutions en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Damien Demailly, chargé du programme énergie et climat au World Wild Fund (Fonds mondial de la nature), considère que les engagements des pays du G8 sont trop timides. Il craint que ce manque de volonté n’entraîne un échec des négociations lors du prochain sommet sur l’environnement à Copenhague, en décembre 2009.

UNE LIMITE DE 2 °C

 

La communauté scientifique s’accorde à dire qu’une augmentation de la température moyenne de la planète de 2 °C serait catastrophique. Le rapport de 2007 du GIEC (le groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat créé par l’ONU) parle du “point de rupture“. À partir de ce point, les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pourraient augmenter de manière exponentielle. Aux émissions liées à l’activité humaine, s’ajouterait alors des rejets d’origine naturelle.

Les forêts stockent de moins en moins de carbone à mesure que la température augmente. Si le climat se réchauffe trop, les pergélisols (sols gelés en permanence) pourraient fondre et libérer un stock important de méthane, l’un des principaux gaz responsables de l’effet de serre.

 

 

Les pays du G8 se sont engagés à ce que le réchauffement climatique ne dépasse pas 2 °C et à réduire leur émission de gaz à effet de serre de 80 % d’ici à 2050. Ces engagement auront-ils un réel impact sur la lutte contre le réchauffement climatique ?

Il faut garder en mémoire que c’est la somme totale de leurs rejets qui doit baisser de 80%. Individuellement, les Etats pourront choisir de faire plus ou moins. Cela explique d’ailleurs les déclarations de la Russie, qui s’est désolidarisé des engagements pris hier.

Cette décision va dans la bonne voie, mais c’est aussi un minimum. La communauté scientifique estime que c’est de 90 % à 95 % que les pays du G8 devraient réduire leurs émissions. Sur la limite de 2 °C (voir encadré), en la reconnaissant, le G8 fait un pas important, mais il faut maintenant que les pays émergents adoptent la même position.

Il y a cependant un progrès depuis le protocole de Kyoto : les Etats du G8 semblent avoir accepté des réductions de CO2 beaucoup plus importantes…

Signé en 1994, le protocole de Kyoto fixait à 5,2 % les réductions d’ici à 2012. Depuis, on a pris conscience du véritable impact du réchauffement climatique. Le protocole n’était plus à la hauteur des enjeux tels qu’on les mesure aujourd’hui.

Cependant, Kyoto avait le mérite de fixer des engagements à plus court terme. C’est l’un des échecs de ces négociations : elles n’engagent pas les Etats avant 2050. Ce qu’il faut, ce sont des objectifs réalisables en un ou deux mandats. Chaque pays doit être capable d’expliquer où il en sera en 2020, 2030, 2040 avant d’arriver à 2050. Mais, évidemment, c’est plus facile de faire peser ses engagements sur les politiques des futurs élus que sur les siennes. Aujourd’hui, les émissions de gaz augmentent tous les ans de 3 %, 4 %, ou 5 %, selon les années. Si on continue à ce rythme-là, les objectifs de 2050 ne seront pas atteignables.

Surtout, l’absence d’engagements à court terme bloque les négociations avec les pays émergents. Les pays du G8 les ont invités à s’engager à réduire leurs rejets de gaz à effet de serre de 50 % à 80 % d’ici à 2050. Mais ils ne les suivront pas sans geste fort.

Pourquoi les grand pays émergents refusent-ils de réduire leurs émissions ?

Pour eux, le “deal” est clair : les pays industrialisés ont une part importante de responsabilité dans le réchauffement climatique et doivent montrer l’exemple. Ils ont émis des gaz à effet de serre pendant un siècle, pour se développer. Ils doivent maintenant réparer leur “dette climatique” et accompagner les pays émergents dans leurs efforts pour réduire leurs émissions. Les textes internationaux, comme ceux de l’ONU, reconnaissent cette responsabilité.

Pour résumer, les pays émergents posent deux conditions aux pays industrialisés : s’engager à réduire de 40 % leurs émissions d’ici à 2020 et leur apporter un soutien financier. A ces conditions, ils sont près à s’engager sur l’habitat, le transport ou encore les énergies renouvelables. Cependant, les pays industrialisés n’ont pas chiffré le montant de l’aide qu’ils étaient prêts à apporter. Des études de l’ONU, et d’autres instances, estiment cette aide à 160 milliards de dollars par an. Les pays émergents réclament de leur côté 200 à 300 milliards de dollars.

En l’absence de cette aide financière, les grands pays émergents n’ont-ils aucune politique pour combattre le réchauffement climatique ?

Il ne faut pas avoir une fausse image des pays émergents. Les pays présent au Forum économique mondial font des efforts. La Chine s’est engagée à réduire son intensité énergétique (consommation énergétique par point de PIB) et à développer son parc éolien. L’Afrique du Sud a organisé son Grenelle de l’environnement et mis en place un plan assez précis. Le Mexique s’est engagé à réduire ses émissions de 50 % d’ici à 2050. L’Inde est moins avancée, mais il ne faut pas oublier que, par habitant, c’est le pays le plus pauvre des grands pays émergents. Pour aller plus loin, ils attendent le soutien des pays industrialisés.

L’Union européenne a tenté d’imposer des objectifs à plus court terme, pour 2020. Peut-elle donner le ton en vue du sommet de Copenhague ?

L’Europe s’est fixé pour elle-même des échéances à plus court terme : une réduction de 20 % à 30 % d’ici à 2020. Elle monte sur le devant de la scène en essayant de mettre la pression sur les Etats-Unis. Cependant, en essayant d’imposer à tout le monde ses propres chiffres en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, sans pour autant chiffrer concrètement l’aide qu’elle est prête à mettre sur la table, elle risque de rapidement épuiser son capital-confiance auprès des pays émergents.

Avant Copenhague, chaque pays ou groupe de pays doit dévoiler ses positions clairement en amont, sinon on ira vers un nouvel échec. Il faut rendre publiques les positions pour tenter de trouver un compromis.

Mael Inizan

LEMONDE.FR | Jeudi 09.07.09 | 21h13 à Paris

 

Télévision à la une - Ce que devient le «nous»

Dimanche 14 juin 2009


Tel un éternel adolescent, le Québec se cherche. Se cherche une identité propre sur un continent où règne une hégémonie culturelle qui prend toujours un peu plus de place. Cherche une façon de redéfinir ce qu’est un Québécois à l’heure où les «Canadiens-français de souche» se font de moins en moins nombreux et où les «originaires» d’ailleurs prennent le relais.

Au moment où les intellectuels et certains politiciens se creusaient la tête à définir un «nous», Pierre Mignault et Hélène Magny sont allés à la rencontre d’adolescents, enfants d’immigrants nés au Québec et fréquentant l’école Joseph-François Perrault, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, afin de comprendre comment se définissent ces jeunes à cheval sur deux cultures, deux systèmes de valeurs, deux univers.

Dans Tête de tuque, un documentaire présenté ce vendredi à Radio-Canada, ces deux anciens journalistes de la société d’État ont suivi pendant une année scolaire trois jeunes issus de différentes cultures qui terminent leurs études secondaires et se cherchent une identité qui leur est propre, tiraillés qu’ils sont entre les principes de leurs parents et ceux de la société dans laquelle ils vivent. Chison, un jeune homme timide né de parents chinois et vietnamien, Darlyne, une adolescente d’origine haïtienne mais se définissant comme «plus québécoise», et Sabrine, une jeune femme nettement plus «tiraillée» dont les parents viennent de Tunisie, se livrent avec un naturel rare devant la caméra.

Comme le titre du documentaire l’évoque, ces jeunes se sentent parfois comme les «têtes de turc» des «de souche», qui les voient parfois comme des étrangers — un peu envahissants –, alors qu’ils sont nés ici, et parfois comme «trop québécois» –, d’où sans doute la «tuque» du titre — pour leurs parents, qui cherchent à perpétuer l’héritage culturel et social de leur patrie d’origine. Lorsqu’ils sont seuls devant la caméra ou à l’école avec leurs amis, ils parlent sans gêne de cette ambiguïté identitaire qui les habite, mais aussi de leur amour pour le pays où ils sont nés, tandis que lorsqu’ils sont filmés avec leur famille, on les sent moins à l’aise, moins prêts à remettre en question les valeurs et le mode de vie transmis par leurs parents.

Le film de Migneault et Magny, visiblement produit dans l’optique d’une diffusion télévisée, aurait gagné à être plus long, car, même si les journalistes ont réussi à mettre en confiance leurs protagonistes et à les faire témoigner avec franchise de leur situation, on a la nette impression qu’ils auraient pu aller un peu plus loin dans leur réflexion. Il aurait aussi été souhaitable d’entendre un peu plus les parents et l’entourage des jeunes, comme ce travailleur communautaire à l’école qui témoigne lui aussi de son expérience de fils d’immigrant né ici et jamais considéré «québécois» par ses pairs. On aurait également aimé voir un peu plus le milieu scolaire dans lequel évoluent ces jeunes. Comme dans cette séquence où le professeur de français de la classe plutôt multiethnique du jeune Chison anime une discussion sur la définition de l’expression «de souche» et sur l’avenir du fait français au Québec, éclairante et parfois même agréa-blement surprenante pour les

pessimistes de l’avenir de la langue. Il reste que ce Tête de tuque, nimbé d’une variation musicale du succès Dégénération du groupe Mes Aïeux, permet de découvrir ce qui se passe dans la tête de ces futurs citoyens qui forment lentement mais sûrement une part importante de la population québécoise et de changer le regard qu’on porte sur eux afin qu’un jour ils s’identifient à part entière au fameux «nous».

 

Amélie Gaudreau.

 

Le Devoir samedi 13 et dimanche 14 juin 2009.
Tête de tuque - Dans le cadre de Zone Doc, Radio-Canada, vendredi à 21h.

Le socialisme du XXIe siècle, un réformisme radical

Samedi 23 mai 2009


LE MONDE | 23.05.09 | 13h53.  Point de vue.

 


Selon une figure imposée du débat politique, la priorité serait désormais pour le PS d’”inventer le socialisme du XXIe siècle”. Devenue un leitmotiv, cette formule sonne étrangement. En effet, on n’invente que ce qui n’existe pas. Or le socialisme existe. Il a précédé le marxisme et lui survit. Il se bat pour encadrer et maîtriser le capitalisme depuis la naissance de ce dernier au XIXe siècle. Et quels que soient ses traits nouveaux, le “socialisme du XXIe siècle” restera, dans ses finalités comme dans sa philosophie, très proche de ses aïeux des deux siècles précédents.

 

Dès lors, l’usage récurrent de cette formule semble témoigner de l’envie “d’en finir” avec une doctrine politique jugée caduque, une envie qui agite nombre d’observateurs et même certains socialistes. Formule lénifiante qui nous donne en réalité plutôt à entendre : “enterrer le socialisme du XXe siècle”… Et qui nous donne à penser l’essentiel : une doctrine politique ne s’invente pas, elle se déduit.

 

Précisément, elle se déduit de trois éléments. Des valeurs que l’on porte et au nom desquelles on affirme agir, et de la fidélité qu’on leur témoigne, d’où découlent les objectifs assignés à l’action politique. De la réalité - scientifique, technologique, culturelle, politique, sociale, économique - que l’on souhaite transformer et du rapport que l’on entretient avec cette réalité. De la méthode politique retenue, enfin.

 

Les valeurs du socialisme sont pérennes. Né du sentiment de l’égalité naturelle entre les hommes et du refus de l’inégalité de l’ordre social, fondé sur la conviction que l’homme est perfectible et que la société peut et doit être transformée, le socialisme demeure une volonté de justice et une pensée du progrès. La relation des socialistes au réel traduit, elle, une sorte de fatigue collective.

 

Si, avec Hannah Arendt, on retient que “la pensée politique consiste essentiellement en la faculté de juger”, alors, la pensée socialiste souffre de langueur. Europe, fiscalité, immigration, éducation… sont quelques-unes des questions, certes très complexes, que nous peinons à trancher. Complexité qui justifie une longue réflexion et une analyse soigneuse, mais qui ne saurait être l’alibi de la frilosité ou de la tiédeur. Dans cette difficulté à juger de la réalité, la “crise de leadership” ouverte en 2002 joue sans aucun doute un rôle central. Mais c’est dans son rapport avec le réel qu’il faut chercher les causes du malaise persistant de la pensée socialiste.


Il est donc illusoire de s’en remettre à la seule recherche de ces fameuses “idées nouvelles” pour nous sortir de l’ornière. Car les idées, en réalité, ne manquent pas au PS. Ce qui manque, c’est la capacité à choisir entre elles et à les présenter de façon cohérente et articulée en un projet clair et ferme, un projet qui tranche les grands débats contemporains. Ce qu’il faut, c’est donner un sens à ce projet, c’est-à-dire à la fois une direction et une signification.

 

Une deuxième expression court sous toutes les plumes, agite toutes les lèvres : le PS serait gouverné par un “surmoi marxiste”. Et puisque c’est le vocabulaire de la psychanalyse qu’ont convoqué ses auteurs, laissons la théorie psychanalytique éclairer l’analyse politique. Si “surmoi” il y a, alors c’est que pulsion à dominer il y a. En l’occurrence, une pulsion gestionnaire

 

Alors même que la droite, depuis trente-cinq ans, a géré le pays de façon souvent médiocre et parfois calamiteuse, nous continuons trop souvent à intérioriser une forme d’infériorité politique et à en rajouter dans la course au titre de meilleur élève de la classe de gestion. Pourtant, nos concitoyens savent qui a vaincu l’inflation des années 1980, qui a modernisé notre appareil industriel, qui a rétabli la paix civile en Nouvelle-Calédonie, qui a su restaurer l’équilibre des finances publiques tout en créant 2 millions d’emplois à la fin des années 1990 : les socialistes ! Ils nous reconnaissent depuis longtemps la capacité à gérer les affaires de la France, et ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher les raisons de leur éloignement. Mais plutôt dans le conformisme intellectuel, le manque d’imagination politique, la coupure avec les couches populaires, la pusillanimité qui nous caractérisent parfois.

 

Ainsi, les socialistes n’ont-ils pas assez dénoncé les perversions du capitalisme quand il était possible et nécessaire de le faire, c’est-à-dire avant “la crise”. Maintenant qu’elle est là et que, par cynisme, les zélateurs de la mondialisation heureuse, contempteurs du modèle français, “déclinologues” patentés et donneurs de leçons libéraux entonnent, toute honte bue, l’air du “plus keynésien que moi, tu meurs !”, mêler nos voix aux leurs pour dénoncer les dérives du capitalisme nous rend inaudibles. Nous avons beau dire que ce sont nos idées qui étaient justes et que la crise les a validées, nous peinons à convaincre.

 

Les socialistes doivent enfin reprendre la question de la méthode politique, une méthode souvent définie comme - troisième expression consacrée - un “réformisme de gauche”. Définir ainsi le socialisme, c’est énoncer une tautologie. La réforme est en effet le mode d’action des socialistes depuis qu’ils ont accepté l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire depuis 1936 et le Front populaire de Léon Blum.

 

Une fois ce constat posé, on a donc beaucoup dit, mais pas tout. Car ce qui doit caractériser le socialisme, c’est l’intensité de son réformisme. Il y a des réformes fortes, simples, intelligibles par tous, qui transforment une société : ce sont celles-là qui sont attendues des socialistes.

 

Ce sont celles-là qu’ils ont su faire aboutir, en abolissant la peine de mort, en votant la décentralisation, en bâtissant l’union monétaire de l’Europe, en instaurant les 35 heures, en créant le pacs et en promouvant la parité dans l’ordre politique. Ce sont celles-là qu’ils n’ont parfois plus su proposer, lorsqu’ils ont quitté des yeux leur étoile polaire : le volontarisme politique. Ne pas faire preuve de volontarisme pour un socialiste, c’est pécher deux fois : la première contre son idéal, qui impose le combat déterminé contre l’ordre des choses ; la seconde, contre l’identité de la France, vieille nation pétrie de politique et qui en attend encore quelque chose.

 

Or il existe parfois chez les socialistes une forme de survalorisation des contraintes qui confine à la fascination, voire frôle le masochisme. Le PS doit incarner un réformisme volontariste. Volontariste parce que réaliste. C’est le réalisme qui, plus que jamais, impose l’ambition politique !

 

A cet égard, la véritable “ouverture” à gauche opérée par Nicolas Sarkozy ne consiste pas dans le détournement de quelques personnalités, mais dans le rapt du volontarisme politique par lui effectué en 2007. Suspecter de façon systématique Nicolas Sarkozy d’arrière-pensées est une hygiène nécessaire. Dénoncer ses rodomontades et ses incohérences est une oeuvre de salut public. S’opposer avec force à sa politique injuste est une obligation. Mais cela ne suffira pas à faire une politique.

 

Au moment où le séisme économique et financier ébranle les dogmes libéraux les mieux établis, et que s’ouvre ainsi un espace politique, il est urgent de travailler à un socialisme de reconquête. Et, pour commencer, de revoir ensemble le choix des mots qui structurent le combat politique. Il en va de l’identité socialiste comme de notre capacité à gagner les élections et à réussir, une fois revenus aux responsabilités.

 

Aquilino Morelle, professeur associé à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, maître de conférences à Sciences Po Paris, ex-conseiller de Lionel Jospin à Matignon.

Les jeunes issus de l’immigration ont de l’ambition

Mercredi 20 mai 2009


Les jeunes issus de l’immigration ont de plus grandes ambitions scolaires et professionnelles que les jeunes Québécois d’origine. Et ils considèrent davantage le mariage comme un engagement incontournable dans la vie de couple, a indiqué Audrey Duchesne de l’Université du Québec à Trois-Rivières lors d’un colloque qui se déroulait hier au congrès de l’Acfas.

 

Dans le cadre d’une vaste étude visant à mieux connaître les valeurs des jeunes Québécois âgés de 17 à 25 ans, cette étudiante à la maîtrise s’est intéressée particulièrement à quelques jeunes qui étaient nés au Québec de parents immigrants ou qui étaient arrivés au pays en bas âge.

 

Les jeunes issus de l’immigration avaient davantage l’ambition de réussir professionnellement, a-t-elle relevé. Chez les Asiatiques particulièrement, les études et le travail figurent au sommet de leur système de valeurs. «La réalisation de soi passe avant tout par le travail acharné», a souligné Audrey Duchesne.

 

Pour les filles de toute origine, la vie de couple est une affaire sérieuse qui est indissociable du mariage. «Elles aspirent à vivre en couple, mais à la fois, elles manifestent une certaine crainte de l’engagement qu’il implique, car une fois qu’on est engagé — comprendre marié — il n’est pas question de divorcer», a expliqué Mme Duchesne.

 

Fonder une famille fait aussi partie de leur projet de vie, mais «elles ne veulent pas reproduire le rôle que leur mère a eu au sein de leur famille». Elles désirent une famille moins nombreuse que la leur et ne veulent pas demeurer en permanence au foyer pour prendre soin de la famille. «Le travail professionnel est primordial, car à leurs yeux, il permet de se réaliser», a précisé la chercheuse.

 

Les jeunes issus de l’immigration sont souvent très attachés à leur famille. Malgré cet attachement, ils entrent assez fréquemment en conflit avec leurs parents «qui leur mettent beaucoup de pression pour qu’ils réussissent leurs études». Autant ils considèrent leurs parents comme des modèles pour certaines valeurs, autant ils trouvent que ceux-ci «émettent des jugements trop facilement, sont fermés d’esprit, sont trop traditionnels et même parfois racistes».

 

La chercheuse a remarqué que les jeunes dont les parents sont immigrants tentent de concilier les valeurs familiales et celles de la société dans laquelle ils vivent. «Ils ne tournent pas le dos complètement à leurs valeurs familiales pour adhérer aux valeurs de leur pays d’adoption, mais ils optent plutôt pour un métissage des deux», a-t-elle commenté.

 

La jeune chercheuse ne se permet pas de grandes généralisations étant donné qu’elle a interviewé quelques personnes seulement. «Des études qualitatives comme celle-ci représentent énormément de travail, c’est pourquoi notre échantillon est si petit. Mais les résultats nous donnent tout de même une bonne idée de ce que pensent les jeunes immigrants dans leur ensemble», conclut-elle.

Pauline Gravel.  Le Devoir 16 et 17 mai 2009.

Mort de Fredy Villanueva: des ratés avant même l’enquête du coroner

Mardi 7 avril 2009

 Une requête de la famille de la victime et des témoins sera entendue demain

La famille de Fredy Villanueva et les principaux témoins de l’intervention policière qui a coûté la vie au jeune homme reviennent à la charge. Ils réclament à la fois une enquête du coroner élargie afin de traiter du profilage ethnique par les agents du Service de police de Montréal (SPVM) et ils revendiquent des «moyens équivalents» aux policiers pour se faire entendre.

L’enquête publique du coroner sur la mort du jeune Villanueva n’est pas encore commencée qu’elle connaît de sérieux ratés. Selon une requête dont Le Devoir a obtenu copie, les parents du jeune disparu et les principaux témoins de la funeste intervention policière du 9 août dernier, à Montréal-Nord, n’ont pas pu obtenir un exemplaire de la preuve amassée par la Sûreté du Québec (SQ). Et le coroner ad hoc, Robert Sansfaçon, considère qu’ils ne sont plus représentés par des avocats dans le cadre des audiences publiques.

Dans une requête qui sera présentée demain au palais de justice, la famille Villanueva et les cinq témoins du drame (Dany Villanueva, Jeffrey Sagor-Metellus, Denis Meas, Jonathan Senatus et Anthony Clavasquin) réitèrent leur demande pour que soient mis à leur disposition des «moyens équivalents» à ceux des policiers lors des audiences publiques. Ils veulent mettre la main sur la preuve de la SQ, une brique de 1060 pages avec des extraits audio et vidéo. Ils veulent aussi connaître les raisons pour lesquelles la Couronne a choisi de ne pas porter d’accusations contre Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, les deux patrouilleurs impliqués dans la mort de Villanueva. À ce sujet, ils souhaitent faire témoigner tous les procureurs qui ont passé en revue la preuve compilée par la SQ.

Les parents de Fredy Villanueva, leur fils Dany et les quatre autres témoins ont tous signé cette requête dans laquelle ils réclament également que l’enquête du coroner se penche sur le profilage ethnique au SPVM et sur les allégations de partialité des enquêtes sur les morts d’hommes aux mains de policiers (la SQ enquête sur le SPVM, et vice-versa).

La Ligue des droits et libertés, reconnue comme une «personne intéressée» aux fins de l’enquête, partage cet avis. La Ligue n’a pas signé la requête, mais ses porte-parole tiennent aujourd’hui une conférence de presse, pour se prononcer en faveur de la tenue d’une enquête élargie qui traiterait des questions de profilage ethnique et des allégations d’impunité dont bénéficieraient les policiers impliqués dans des cas de mort d’homme.

 

Un profond malaise

La correspondance entre Robert Sansfaçon, le procureur du coroner, François Daviault, et l’avocat de Jeffrey Sagor-Metellus, Alain Arsenault, lève le voile sur le profond malentendu qui assombrit les chances de succès de l’enquête tant attendue du coroner, à compter du 25 mai.

Le 23 janvier, les avocats de la famille Villanueva et les principaux témoins ont annoncé leur intention de ne plus participer à l’enquête, étant donné que le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, n’acceptait pas d’assumer les frais d’avocats de tout le groupe. Au mieux, le ministre Dupuis a promis de prendre en charge les frais de la famille Villanueva.

Depuis ce jour, le juge Sansfaçon et Me Daviault considèrent que les parents de Fredy Villanueva et les cinq témoins de la mort du jeune homme se représenteront seuls lors des audiences publiques. «Je comprends que vous n’êtes plus représentés par des avocats, mais que vous pouvez toujours participer à cette enquête à titre de personnes intéressées», écrit Robert Sansfaçon dans une lettre du 26 janvier. «Je vous informe cependant que vous devez obligatoirement vous présenter aux dates indiquées sur les subpoenas que vous avez déjà reçus à titre de témoins», ajoute le coroner ad hoc Sansfaçon.

Selon Alain Arsenault, cette position équivaut à un «déni du droit à l’avocat de son choix» pour les Villanueva et les témoins du drame, qui ont pourtant été reconnus comme des «personnes intéressées» dans le cadre de l’enquête publique. La situation est d’autant plus difficile à comprendre que les avocats écartés du dossier ont tous signé la requête dont Le Devoir a obtenu copie.

Par ailleurs, Me Daviault refuse obstinément de donner un exemplaire de la preuve aux avocats de la famille Villanueva et aux témoins. «[…] l’enquête du coroner n’est pas le procès d’un accusé où il y a obligation de divulgation de la preuve pertinente par le poursuivant», explique-t-il dans une lettre du 3 mars dernier dont Le Devoir a obtenu copie. Me Daviault reconnaît par contre que la preuve peut être transmise «de façon volontaire et à certaines conditions».

Les avocats des agents Lapointe et Pilotte et la Fraternité des policiers de Montréal ont obtenu des informations sur l’enquête de la SQ, de même que la Ligue des droits et libertés. Mais quand Jeffrey Sagor-Metellus (atteint d’une balle dans le dos lors de la tragédie du 9 août) a demandé qu’un exemplaire de la preuve lui soit acheminé au bureau d’Alain Arsenault, Me Daviault a répondu au jeune homme qu’il pouvait consulter le document à ses bureaux. Une «partie importante de la preuve documentaire» sera déposée lors du début des audiences, enchaîne Me Daviault dans cette lettre du 17 mars. De plus, une copie d’un rapport ou d’une déclaration sera remise avant chaque témoignage, écrit Me Daviault.

Selon Alain Arsenault, c’est un non-sens. «Comment voulez-vous qu’on se prépare adéquatement sans avoir accès à toute la preuve? À titre d’exemple, il est même possible que les policiers impliqués n’aient jamais été rencontrés par les policiers de la SQ chargés de l’enquête.»

La journée de demain promet donc d’être animée au palais de justice. Outre la requête des Villanueva et des témoins, le policier Jean-Loup Lapointe, qui a ouvert le feu sur Fredy Villanueva, et son équipière Stéphanie Pilotte exigeront une ordonnance de non-publication sur tous les détails (y compris leurs noms) permettant de dévoiler leur identité lors des audiences.

BRIAN MYLES Édition LE DEVOIR du mardi 07 avril 2009