Qu’est ce que TEEB ?Â
Lors d’une réunion des ministres de l’environnement du G8+5 tenue à Potsdam en
mars 2007, les ministres ont reconnu qu’il était important d’examiner la valeur
économique de la biodiversité et les conséquences économiques de la perte
constante de biodiversité. En réponse aux discussions de Potsdam, le ministre Sigmar Gabriel et le
commissaire européen Stavros Dimas ont lancé une initiative sur l’Economie des écosystèmes et de la biodiversité - The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB). M. Pavan Sukhdev, directeur à la Deutsche Bank, a été invité à diriger ces travaux.
Quelle est la nature du problème ?Â
La nature apporte aux sociétés humaines une grande variété de bienfaits :
nourriture, fibres, carburants, eau propre, sols sains, protection contre les
inondations, protection contre l’érosion des sols, médicaments, stockage du
carbone (important dans la lutte contre le changement climatique) et davantage
encore. Alors même que notre bien-être est entièrement dépendant de ces
“services écosystémiques”, ce sont principalement des biens publics qui n’ont ni
marchés ni prix, de sorte qu’ils sont souvent ignorés par la boussole économique
que nous utilisons actuellement. De ce fait, sous l’impact des pressions liées
notamment à la croissance de la population, à l’évolution des pratiques
alimentaires, à l’urbanisation et au changement climatique, la biodiversité est
en déclin, nos écosystèmes sont constamment dégradés et, en retour, nous en
subissons les conséquences.
Le déclin de la biodiversité et de nos écosystèmesÂ
Le rapport présenté aujourd’hui montre que si nous n’adoptons pas les politiques
appropriées, le déclin actuel de la biodiversité et la perte de services rendus
par les écosystèmes vont se poursuivre et dans certains cas vont même
s’accélérer. Certains écosystèmes sont susceptibles de souffrir de dommages
irréparables. Dans un scénario inchangé, d’ici 2050 nous devrons subir de graves
conséquences :
une diminution de 11% des zones naturelles restantes en 2000 est à craindre,
principalement en raison de la conversion de ces terres à l’agriculture, du
développement des infrastructures et du changement climatique ;
près de 40% des terres actuellement exploitées par des formes d’agriculture peu
intensive pourraient être converties en terres d’agriculture intensive, ce qui
entraînerait des pertes supplémentaires de biodiversité ;
60% des récifs coralliens risquent de disparaître dès 2030 du fait de la pêche,
de la pollution, des maladies, des espèces allogènes envahissantes et du
blanchissement des coraux lié au changement climatique.
Les tendances observées actuellement sur terre et dans les océans montrent les
graves dangers que représente la perte de biodiversité pour la santé et le
bien-être de l’humanité. Le changement climatique ne fait qu’exacerber ce
problème. Et, une fois de plus, comme pour le changement climatique, ce sont les
pauvres de la planète qui sont les plus menacés par une dégradation constante de
la biodiversité. En effet, ce sont eux qui dépendent le plus des services rendus
par les écosystèmes, services qui sont sous-estimés par des analyses économiques
défectueuses et des politiques mal avisées. (L’article de Benoît Limoges dans Le naturaliste canadien, vol. 133, numéro 2, été 2009, pages 15 à 19, étend les services écologiques aux aspects plus subtils du bien-être humain » : développement du système immunitaire, développement psychosocial, développement de la force, de l’équilibre et de la coordination mais aussi aux bénéfices socioculturels et à l’expérience spirituelle)). La protection de la biodiversité et les questions d’équité et d’éthique.
La pauvreté et la perte de biodiversité sont inextricablement liées : les
bénéficiaires immédiats de la majeure partie des services rendus par les
écosystèmes et la biodiversité sont principalement les pauvres. Les activités
les plus touchées sont l’agriculture de subsistance, l’élevage, la pêche et
l’exploitation forestière informelle, dont dépendent la plupart des pauvres du
monde entier. On estime généralement que les pertes annuelles de biodiversité et
d’écosystèmes représentent, en termes de bien-être, l’équivalent d’un faible
pourcentage du PIB. Si toutefois nous les traduisons en termes humains, sur la
base du principe d’équité, l’argument en faveur de la réduction de ces pertes
prend beaucoup plus de poids. Les choix éthiques sont si profondément enracinés
dans les fondements de nos modèles économiques que nous n’en sommes plus
conscients. Cependant, si l’on prend l’exemple parlant des taux d’actualisation,
un taux de 4% (les taux d’actualisation sont le plus souvent compris entre 3 et
5%) signifie que nous estimons que la valeur d’un service de la nature pour nos
petits-enfants (d’ici 50 ans) équivaut à un septième de l’utilité que nous-mêmes
en retirons - ce qui est difficile à défendre d’un point de vue éthique.
Intégrer la véritable valeur de la biodiversité et des services rendus par les
écosystèmes dans la détermination des politiques constitue l’objectif ultime des
travaux menés par Pavan Sukhdev et son équipe. Cela met en jeu des choix
éthiques, notamment entre les générations présentes et futures et entre des
groupes de population de différentes parties du monde.
Quel est le coût économique de la perte de biodiversité et des services renduspar les écosystèmes ?Â
Toutes les valeurs de la biodiversité ne peuvent pas être mesurées en termes
économiques. Pour de nombreuses personnes, la nature a une valeur intrinsèque
qui n’est pas liée à son utilité pour les êtres humains. Par ailleurs, une
partie seulement de l’ensemble des bienfaits issus de la biodiversité et les
écosystèmes peut être évaluée, en raison des limites actuelles à notre
compréhension des fonctions écologiques ainsi que des limites de nos outils
économiques. En général, les valeurs estimées provenant des études de cas ne
prennent en compte que certains bénéfices. De plus, il n’y a pas encore de
données disponibles ni d’études d’évaluation économique menées pour tous les
types d’écosystèmes – par exemple, les écosystèmes marins sont moins bien connus
que les écosystèmes terrestres. C’est pourquoi il faut garder à l’esprit que les
estimations de la valeur économique de la biodiversité et des services rendus
par les écosystèmes sont sujettes à beaucoup d’incertitudes et qu’elles tendent
à sous-estimer la réalité. Cependant, l’évaluation économique est une approche
utile pour mesurer la contribution de la biodiversité et des services écosystémiques à la qualité de la vie et pour mieux comprendre les choix qui existent entre différentes possibilités d’utilisation des écosystèmes. On dispose maintenant d’une grande quantité de données sur les valeurs de marché ou hors marché que représentent pour les êtres humains un certain nombre de bénéfices liés à la biodiversité et aux écosystèmes, et donc des coûts associés à leur perte.
Le rapport présenté aujourd’hui met en lumière les résultats d’une analyse préliminaire des coûts de la perte de biodiversité et des services écosystémiques liés aux forêts. Dans les premières années de la période 2000-2050, cette analyse estime que la perte annuelle de services des écosystèmes forestiers équivaut à près de 28 milliards d’euros par an, et cette valeur augmente au cours du temps jusqu’en 2050 (il convient de noter qu’une
part importante des bénéfices correspondants n’est pas actuellement intégrée
dans la mesure du PIB). Les pertes de capital naturel ne sont pas seulement
ressenties l’année où elles se produisent car le flux de services est réduit
pour toutes les années suivantes. En prenant en compte ces pertes futures, la
valeur actualisée des services des écosystèmes forestiers perdus chaque année
pourrait être comprise entre 1 350 et 3 100 milliards d’euros, pour des taux
d’actualisation de 4% et 1% respectivement. Comme il a été indiqué, il s’agit
d’une estimation prudente : elle est partielle, dans la mesure où elle ne couvre
pas la totalité des services ; certains effets négatifs de ces pertes sur la croissance du PIB ne sont pas pleinement pris en compte ; enfin, cette estimation ne tient pas compte des non-linéarités et des effets de seuil dans le fonctionnement des écosystèmes. Ces premiers résultats suggèrent toutefois que les impacts socio-économiques de la perte de biodiversité peuvent être considérables. Des travaux supplémentaires seront nécessaires durant
la Phase II de l’étude pour mener une évaluation à grande échelle des coûts associés aux pertes des principaux types d’écosystèmes de la planète et pour comparer ces coûts avec ceux de politiques destinées à mieux protéger la biodiversité et les écosystèmes.
Yves ALAVO